•  

    Depuis combien de temps je dérive ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Je suis ballottée dans l'eau salée et froide. Un coup à gauche, un coup à droite, mon corps inerte glisse sur les vagues.

     

    Quand le bateau a coulé, je suis tombée dans la mer glacée, j'ai essayé de m'accrocher à quelque chose et je n'ai trouvé qu'un petit morceau de bois. Il flotte péniblement au creux des vagues. Je suis seule dans l'immensité bleue, j'ai froid, faim, soif et sommeil.

     

    Souvent j'ai envie d'abandonner, je me dis que les secours n'arriveront jamais, que je suis perdue. Personne ne me cherche donc ? Et que fait ma famille ? Ils m'ont déjà oublié ? Sont passés à autre chose ? La vie continue pour eux mais pour moi je sens déjà la fin qui approche. Et puis je veux en finir. Mon pantalon est alourdi par l'eau salée, mes chaussures et mes chaussettes sont gorgées d'eau et la nuit quand il fait froid je ne sens plus mes pieds. Alors je les agite, histoire de voir si je suis encore vivante. Mais là, je n'en peux plus. J'en ai assez de me battre seule, j'ai perdue espoir, personne ne viendra jamais. Depuis que je dérive je n'ai croisé ni bateau, ni avion, pourquoi est-ce que ça changerait aujourd'hui ?

     

    C'est décidé, je lâche mon morceau de bois et je m'enfonce dans la mer. Le silence est assourdissant, je suis en paix avec moi-même, il fait bon sous l'eau. J'ai juste hâte que la mort vienne rapidement. Je me sens couler.

     

     

    Soudain je sursaute. Je suis dans mon lit, assise à côté de mon mari qui dort paisiblement. Tout cela n'est qu'un rêve. Je suis chez moi et tout va bien je me répète en frissonnant. Cependant, je sens comme un poids sur mon cœur et tout à coup, tout me reviens. Ce rêve,  je le fais plusieurs fois par semaine et je sais ce qu'il signifie. La mer c'est mon chagrin, la perte d'un fils a fait basculer ma vie. Depuis mon bateau coule et je me laisse dériver, happer par ce chagrin trop lourd à porter pour moi. Je me raccroche comme je peux à ma famille, espérant un soutien, un réconfort, comme un naufragé s'accroche à une bouée. Ce lien ténu avec la vie me permet d'espérer mais rien n'y fait, le chagrin est trop immense, et je me sens cernée par lui.

     

    J'entends souvent mon entourage me dire que je dois être courageuse, que la vie continue mais je ne peux pas. Je ne veux pas. J'ai encore besoin de parler de ce fils disparut trop tôt, je ne veux pas qu'il appartienne à l'histoire de ma vie. Je veux qu'il soit le présent, je veux le tenir contre moi, sentir son odeur, l'entendre rire et babiller. Je veux lui expliquer la vie, l'emmener à l'école, il avait encore tant de chose à découvrir. Mais tout ce qu'il a connu ce sont les médicaments, les hôpitaux, les opérations et l'inquiétude.

     

    « On » en a décidé autrement. Mon fils n'était pas assez bien pour vivre ? Pourquoi lui ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi me l'avoir donné, puis retiré si brutalement.

     

    Aujourd'hui je reste seule avec mon chagrin, à la dérive. J'entends mon mari qui se retourne dans son sommeil. Je ne veux pas le réveiller, l'inquiéter. Alors je prends ma couette entre mes bras, je me couche sur le côté et je pleurs en silence.

     

    Je suis une naufragée depuis que tu es parti mon fils...

     


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  •  - Babeth, il faudra aller faire la 114. 

    Babeth soupire en soufflant la fumée de sa cigarette. Elle savait que Marie, sa chef, lui demanderait cela car elle avait vu quelques minutes plus tôt le couple de la chambre 114 quitter le palace. Elle était en train de faire les poussières sur les meubles du hall quand elle les avait aperçus. Lui, grand, brun, élégant dans son complet gris et ses chaussures bien cirées. Elle, blonde, mince, dans sa jolie robe cache cœur noire et ses escarpins. Depuis le temps que Babeth travaille au palace elle en a vu passer des riches. C'est l'avantage de travailler ici, ça permet de côtoyer du beau monde, mais toutes ses richesses la rend parfois envieuse.

    Avec son mari ouvrier, ils arrivent tout juste à payer les factures et la nourriture. Oh ! Elle ne se plaint pas, elle est bien rémunérée au palace, surtout pour faire du ménage mais voir que ces gens sont capables de dépenser un mois de salaire pour dormir dans une suite l'a toujours un peu intriguée.

    Babeth écrase sa cigarette et regagne la remise pour attraper son chariot de ménage. Elle espère que les locataires d'un soir de la chambre 114 ne lui ont pas laissé de surprises. Parfois, les riches ont des lubies, ils demandent du champagne et des chocolats hors de prix pour ne pas y toucher. Ou alors, ils retournent complètement la chambre, laissant des affaires sales et transformant le sol de la salle de bain en pataugeoire.

    Les chambres sont nettoyées tous les jours dès que les clients quittent le palace. Quelques fois, Babeth sait qu'elle n'a pas beaucoup de temps pour faire le lit, passer l'aspirateur, nettoyer la baignoire avant qu'ils ne reviennent. En retapant les oreillers, elle hume les parfums des champoings de ces dames, ou encore l'eau de toilette de ses messieurs en suspendant une veste.

    L'ascenseur s'ouvre. Elle est arrivée. Babeth s'arrête devant la chambre 114. Toujours frapper avant d'entrer, on ne sait jamais. Elle s'exécute et annonce d'une voix forte et claire :

    - Femme de chambre.

    Pas de bruit. Babeth tend l'oreille et recommence son rituel une seconde fois. Rien. Les clients sont partis. Elle glisse son passe magnétique dans la serrure de la porte. Le voyant vert s'allume, la voie est libre, la fée du logis va entrer en action.

    La porte s'ouvre. Les clients ont laissé les rideaux fermés,  ce qui rend l'atmosphère de la chambre lourde et sombre. Comme c'est dommage,  il fait si beau dehors.

    Babeth écarte les rideaux,  ouvre la fenêtre, se retourne et pousse un cri de stupeur. Là,  couché dans le lit, le monsieur de la chambre 114 est allongé,  ses yeux sans vie fixent le plafond. Comment est-ce possible ? Babeth l'a vu partir. Quand les clients oublient quelque chose dans la chambre c'est le maitre d'hôtel qui va le chercher pendant que le client s'installe confortablement au bar.

    Pourtant il est là couché devant elle. Il a peut-être eu une attaque, il est peut-être encore en vie. Babeth s'approche lentement et prend son poult mais soudain elle voit le sang encore frais qui imbibe les draps et le matelas.

    Son cri de terreur retenti dans tout le couloir.

     


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  • C’est un matin d’hiver, il fait froid, gris mais courageusement vous avancez vers l’arrêt de votre transport en commun préféré prête à affronter une nouvelle journée.

     Votre pas est léger, vous êtes confiante, pour une fois vous êtes partie tôt et vous serez à l’heure. La journée commence bien.

     Vous arrivez vers votre arrêt et constatez qu’il y a beaucoup de monde. Vous râlez un peu, le dernier tramway n’a pas dû passer, le prochain va être plein, le voyage risque d’être désagréable, compressé contre les fenêtres, la marque de la barre centrale,  pour ne pas tomber,  sur la joue, dans une chaleur étouffante malgré le froid polaire de l’hiver,  mais rien ne gâchera votre bonne humeur.

     Soudain, une petite musique retentie dans les hauts parleurs de l’abri et une voix métallique annonce : « Mesdames, Messieurs, en raison d’un mouvement de grève, nous avons le regret de vous annoncer que les tramways de la ligne A ne circule pas entre Gare et Nef Chavant, de la ligne B… » mais vous avez arrêtez d’écouter, c’est la panique dans votre cerveau. C’est :  

     

    LA GREVE !!

     

     

    Après la 1ere minute d’angoisse bien légitime passée, vous vous mettez à réfléchir à toute allure. Plusieurs solutions vous viennent à l’esprit de façon à arriver à l’heure, le but ultime de votre journée.

    Solution n°1 : aller au travail à pied. Plutôt long et réservé aux sportifs si vous voulez arriver dans les temps. Il est aussi recommandé de bien connaitre la ville afin de pouvoir emprunter les raccourcis sans vous perdre. N’étant pas très sportive et n’ayant pas envie de traverser la ville à pied, vous décidez d’oublier cette solution.

    Solution n°2 : rentrer dormir chez vous. L’arrêt de bus n’est qu’à quelques minutes de la maison et donc bien plus près que votre lieu de travail. L’appel de la couette se fait sentir très fortement.  Malheureusement l’idée de perdre une journée de travail à cause d’une grève de transport ne vous réjoui pas tellement. Vous oubliez donc cette solution.

    Solution n° 3 : le coup de fil à un ami. Vous avez bien une bonne collègue qui vous rendra ce service et qui n’est pas encore partie de chez elle (à 8h52 pour arriver à 9h avec 20 min de trajet c’est encore possible ??) Solution validée.

    Vous sortez votre portable de votre sac (qui n’a presque plus de batterie) et appelez votre charmante collègue en priant pour qu’elle ne soit pas déjà arrivée. Après quelques sonneries elle répond :

    « Allo ?? » 

    - Salut S, c’est N. ça va ??

    -oui, oui et toi ? 

    -ça va. Dis moi, est ce que tu es arrivée au boulot ? 

    -non, je suis coincée dans les bouchons vers chez moi, pourquoi ? » 

    Gros soupir de soulagement, après quelques explications, vous convenez d’un lieu de rendez vous et vous vous y rendez à pied (vous ne couperez pas au sport aujourd’hui…). Vous attendez sous la neige que votre collègue arrive en priant d’être au bon endroit, mais comme vous n’avez plus de portable impossible de vous rassurer.

     

    Soudain, comme une lumière au bout d’un tunnel, vous voyez la voiture de la collègue arrivée, faire un petit dérapage à coté de vous  (la neige ça glisse). Avant même d’ouvrir la porte, vous rêvez de la chaleur qui règne à l’intérieur, de la fin du calvaire annoncé dans 10 min vous serez derrière votre bureau prête à répondre aux questions

    Après 2h de voiture (tout le monde à pris sa voiture à cause de la grève et personne ne sait rouler sous la neige) vous arrivez enfin sur votre lieu de travail. Durant le trajet, vous serez passée de la compréhension envers les grévistes (les pauvres, ils font un travail pas facile, répétitif et c’est vrai que c’est dangereux sur certaine ligne la nuit)  pour terminer par les maudire jusqu’à la 15eme génération (ferait mieux de bosser ces c… au lieu d’em… le monde, moi aussi j’aimerai bien avoir une prime d’habillage !!).

    Sous l’œil suspicieux de votre responsable vous rattraperez votre journée de travail en terminant à 19h au lieu de 16h 30, et tenterez de reprendre les transports en commun pour rentrez chez vous, quand on aime on ne compte pas… à moins que ce soit cela que l’on appelle la folie…

     


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  •  Vous êtes dans votre transport en commun préféré. C’est l’automne et le soleil joue avec les feuilles jaunies.

    Votre 1ere semaine en fac commence pleines de promesses. En quittant votre village pour découvrir la vie citadine vous vous êtes naïvement fixé un objectif : rencontrer des personnes venant d’autre pays, des gens nouveaux provenant de différents horizons mais malheureusement vous découvrez bien vite que dans votre filière il n’y a que des français et 2 Ukrainiennes (sans doute perdues) qui préfèrent rester entre elles.

     A l’automne s’ouvre la période de la chasse, les prédateurs rodent. Imaginez la scène. 

    Vous êtes donc dans le tram, vous regardez dehors ou les usagers. Vous ne connaissez pas encore les parades indispensables à la survie en transport en commun comme ne jamais regarder les autres, avoir les yeux qui se baladent d’un point à un autre sans jamais rien fixer ou mieux avoir un livre et un MP3 avec soi qui empêche ainsi tout début de discussion.

     Un jeune homme s’assoit à coté de vous. Que dis-je, il s’assoit carrément sur vous, semblant ignorer la règle élémentaire de la distance de sécurité nécessaire entre deux personnes qui ne se connaissent pas. Curieuse, vous lui lancez un regard, il vous sourit, vous aussi (vous êtes encore polie à ce moment là mais ça va vite changer). Avec ce simple geste de sympathie vous venez de signer votre arrêt de mort : vous êtes en présence d’un prédateur redoutable : le « dragueur ».

     Le « dragueur » est facilement reconnaissable à ses vêtements. Il y a les « Hugo Boss », pour les plus fortunés, souvent accompagné de grosse lunette et grosse montre histoire de montrer l’étendue de leur richesse (« pourquoi prend-il le tram ? » me diriez vous. Et bien pour draguer tout simplement). Pour les moins riches, on a souvent affaire au « total look » : au choix : Jogging-basket (oui ça existe) avec la chaine en or et la casquette ou encore Jeans-chaussure avec petit pull moulant et sacoche (pour les plus audacieux)

    Là nous sommes en présence d’un « total look » Jogging-basket avec supplément casquette et grosse gourmette (oui comme pour tout il y a des variantes). 

     En lui souriant, vous avez signalé a votre « dragueur total look » que vous souhaitiez engager la conversation (du moins c’est ce qu’il pense) et aussitôt il attaque : « bonjour ». Vous êtes encore polie et décidez de répondre timidement : « bonjour ». Le piège se ressert en lui répondant, le « dragueur » s’imagine qu’il vous intéresse et fort de cette remarque continue : « qu’est ce qu’une jolie fille comme toi fait toute seule dans le tram ? ».Oui le dragueur vous tutoie directement, créant ainsi un rapprochement que lui seul imagine. Vous, vous préféreriez fuir comprenant à qui vous avez affaire mais malheureusement vous êtes enfermée et très en retard, vous allez donc devoir attendre votre arrêt.

    Le dragueur attend votre réponse qui ne se fait pas attendre « je vais à la fac ». Il enchaine :

     

    - T’es en quelle année ?

     

    - En 1ere.

     

    - Tu peux donc rater les cours et venir boire un verre avec moi ?

     

    Le dragueur une fois de plus est direct, il s’imagine irrésistible et pense qu’il lui suffit de demander pour voir sa requête accordée.

     

    -Non, répondez vous, je vais en cours et puis j’ai un copain.

     

    Cette parade vous parait parfaite ? Détrompez-vous.

     

    - Je ne suis pas jaloux. Ton copain ne l’est surement pas non plus…mais puisque tu as cours, donne moi ton prénom et ton numéro comme ça on pourra s’organiser une soirée tout les deux.

     

    A voir votre tête vous n’en avez pas envie mais le dragueur ne lâche jamais une proie. Il attend patiemment.

     C’est à ce moment là que vous pouvez reprendre le contrôle de la situation. Soit vous êtes désespérée et seule et vous lui donnez votre vrai prénom et votre vrai numéro soit…

     - Je m’appelle Gertrude, répondez vous avec un sourire.

    Le dragueur sourit à son tour :

    - C’est un très joli prénom. Tu me donnes ton numéro ? 

    Pas de chance vous avez affaire à type « arracheur de dent » ou encore « prêt à tout ». Désirant mettre un terme à cette discussion qui a déjà assez durée, vous lui donnez un faux numéro (soit avec des chiffres au hasard, soit le numéro de votre pire ennemie, la vengeance étant un plat qui se mange froid)

    Fière de lui, le « dragueur » vous donne son numéro (on ne sait jamais, si vous ne tenez plus et voulez à tout prix le rappeler dans les 3 minutes).

    Enfin, votre arrêt arrive, vous vous levez avec un « au revoir » qui signifie « à jamais », lui comprend « à bientôt » et vous assène le coup de grâce « on s’appelle bientôt, et tu vas voir, avec moi tu vas passer une soirée inoubliable »

    Vous descendez en riant imaginant sa tête lorsqu’il se rendra compte que vous lui avez transmis un faux numéro.

    Le dragueur vous regarde par la vitre, vous fait un dernier clin d’œil puis un sourire, il pense que vous ne lui échapperez pas mais pour une fois, la biche a été plus maligne que le lion…

     


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