• Un dimanche en famille

                Dans ma famille, on a toujours aimé se retrouver, ainsi toutes les occasions sont bonnes pour passer un dimanche chez Mamie.

                 Nous nous levons tôt ces jours-là,  ma mère prépare le poulet ou la salade, mon frère Simon et moi rassemblons des puzzles et autres jeux. Mon père vérifie la voiture et nous nous mettons joyeusement en route.

     

    Le paysage défile sous nos yeux ébahis. Nous chantons et nous racontons des histoires pour faire passer le trajet plus vite. Parfois nous nous disputons avec Simon et maman fait les gros yeux. Je boude un peu mais la joie de revoir mes cousins et mes grands-parents finissent toujours par l'emporter sur les chamailleries.

     

    Soudain la maison de mes grands-parents paraît,  perdue au milieu des champs. C'est une vaste demeure ancienne qui se dresse devant moi,  avec son grand jardin, ses fleurs entretenues avec amour par ma grand-mère,  ses arbres fruitiers qui s'élèvent à côté du poulailler. 

     

    Quand nous arrivons, tante Olga et oncle Joe sont déjà là avec leurs deux enfants Julien et Mathieu. Je salue timidement tout le monde. Mathieu est grand, il a au moins 20 ans, et avec son air nonchalant on a l'impression qu'il s'ennuie tout le temps. Julien a 10 ans comme moi. Il court vers nous et me dit : 

    - Regarde ce que j'ai amené !  

    Avec Simon nous nous précipitons sous la véranda où la grande table à déjà été dressée.

     

    L'art du dressage de la table est quelque chose de très important dans la famille, d'ailleurs Mamie dit toujours qu'une belle table incite à bien manger. C'est pour cela qu'elle dispose son service à vaisselle offert pour son mariage, ainsi que la belle nappe brodée blanche qui a fait le voyage depuis son pays natal.

     

    Au moment où nous passons la porte de la véranda, Mamie dispose d'ailleurs les serviettes et nous demande de venir lui dire bonjour, ce que nous exécutons avec joie.  

    - Où est Papi ? Je demande.

    - Dans le poulailler, il ramasse les œufs. 

    Julien me prend la main et je m'assois par terre avec lui. Il a apporté : un jeu de l'oie, des cartes, sa console. Je suis satisfait et rajoute mes puzzles.  

    - On va bien s'amuser, commente Simon.

    - Et encore, ajoute Julien, je voulais prendre mon mikado mais maman n'a pas voulu, elle a peur qu'on se fasse mal avec.  

    Je soupire, on peut en faire des choses avec un mikado, suivre les règles du jeu bien sûr ou des combats à l'épée. 

     

    Mon père s'approche de Mamie et lui dit en l'embrassant :  

    - Comment tu vas maman ?

    -Ça va, répond ma grand-mère agacée, le Seigneur ne m'a pas encore appelée à lui comme tu le vois !

    - Maman ! Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire !

    - Je sais ce que tu as voulu dire, ma grand-mère lui sourit et se reprend, le toubib m'a dit que j'avais une santé de fer. 

    Mon père ne dit plus rien. Il regarde dehors d'un air songeur puis se tournant vers nous il ajoute :

    - Il fait beau aujourd'hui les enfants, vous devriez jouer dehors en attendant.

    Nous sortons sans demander notre reste. 

    En nous dirigeant vers le poulailler nous croisons Papi avec son panier rempli d'œufs frais.

    - Alors les enfants, ça va ?

    Nous répondons d'un signe de tête.

    - Ne vous salissez pas, on va bientôt aller à l'église.   

    Je grimace. Chaque dimanche, nous nous rendons à pieds dans l'église du village de mes grands-parents et nous écoutons en silence le sermon du Père Pascal. Parfois quand on a de la chance, il n'y a plus de place devant et assis au fond de l'église il est plus facile de faire semblant d'écouter. 

                Soudain ma mère appelle :

                  - Les enfants, oncle Benjamin est là ! On y va !

    Fini le farniente, nous nous regardons avec Simon et Julien et dans un soupir las nous rejoignons la fraicheur de la maison. Je salue mon oncle Benjamin qui est venu avec ses 2 enfants, Elise 18 ans et Boris 13 ans. Tonton Ben, comme on l'appelle, est le 1er de la famille à avoir divorcé,  chose que ma grand-mère n'hésite pas à lui dire chaque fois qu'elle le peut car dans la famille "ça ne se fait pas".

     

    Sur le trajet de l'église,  les grands bavardent entre eux croyant qu'on ne les entend pas. Ça parle de tout, de religion bien sûr, de politique un peu, des valeurs traditionnelles enseignées dans la Bible qui se perdent. Ma grand-mère nous raconte encore une fois comment elle a fui la Russie en 1917 au moment de la révolution. Mon père pousse un soupir et lève les yeux au ciel quand elle nous explique pour la dixième fois au moins comment mon arrière-grand-mère avait entassé leurs maigres affaires et les quelques bijoux qu'elle possédait dans un chariot avant de s'enfuir vers l'ouest. Mais son récit est interrompu car nous arrivons. Il y a foule aujourd'hui et je croise les doigts pour être au fond. Malheureusement, ma mère se fraye un chemin vers le milieu de l'église et nous trouve une rangée libre. Nous nous entassons sur le banc et bientôt, le père Pascal apparaît dans sa belle chasuble blanche brodée. Je remarque que Mathieu ne nous a pas suivis. Je vais pour demander pourquoi quand le sermon commence.

     

    Je suis heureux quand une heure plus tard, je peux enfin exposer mon visage au soleil. Sur le trajet du retour l'ambiance est beaucoup plus détendue, mon père et mon grand-père parlent du temps et de la récolte des cerisiers du jardin, ma mère explique à tonton Ben comment réussir un bon ragoût de mouton et Boris, Simon, Julien et moi courrons les uns après les autres sous l'œil amusé de tante Olga. 

     

    A notre retour, nous retrouvons Mathieu assis dans la cuisine en train d'écouter un morceau de tango à la radio.

    Nous nous précipitons vers la table où l'apéritif nous attend.

     

    - Ne prend pas tous les bretzels ! Crie ma mère en mettant une petite tape sur la main de mon frère qui vient de s'en servir une pleine poignée, tu ne mangeras plus rien après. 

                Les hommes prennent un alcool, les femmes finissent d'installer la table pendant que nous courrons partout. J'entends mon cousin Mathieu parler avec Elise. Elle lui demande quand il va annoncer la nouvelle, il lui répond qu'il va le faire aujourd'hui,  il s'apprête à ajouter quelque chose mais notre grand-mère l'interrompt en nous donnant l'ordre de nous asseoir. Chacun prend une place, et mon grand-père se propose de dire le bénédicité. Nous fermons tous les yeux et écoutons avec recueillement. Lorsqu'enfin Papi prononce le dernier mot, j'attends avec impatience mon tour d'être servi. C'est ma mère qui distribue les portions de salades par ordre d'âge, d'abord le plus jeune pour terminer par mon grand-père. Quand tout le monde a son assiette pleine, nous commençons à manger. J'ai tellement faim que je n'écoute pas mon père et Tonton Ben qui se sont lancés dans une discussion compliquée sur les banques. 

     

    Ma mère et ma grand-mère parlent de recettes de cuisine, la tablée se détend au fur et à mesure que les plats se succèdent. Après la salade, vient le poisson avec ses pommes de terre, suivi par le poulet et ses haricots.

    Les repas de famille sont toujours gargantuesques chez nous, parfois il y a même deux entrées, deux plats et deux desserts. Mais ça c'est plutôt pour les fêtes, quand les déjeuners s'éternisent jusqu'au goûter voire jusqu'au dîner. Tout cela se termine souvent par des boutons de pantalon qui se détachent, des soupirs d'aises et des sourires béats qui se dessinent sur les visages. Parfois, il est tellement tard que nous décidons de rester dormir chez mes grands-parents. Là,  c'est l'aventure car nous n'avons rien, il faut donc trouver un pyjama, une brosse à dent, nous partageons un grand lit avec Simon et nous nous racontons des histoires jusqu'à ce que l'un de nous s'endorme.

     

    Enfin le dessert arrive, il est toujours servi avec du thé noir très fort. Ma grand-mère sort le samovar familial qui a fait le voyage depuis la Russie. Je mange une grosse boule de glace à la vanille que je creuse avec ma cuillère pour faire un igloo, ainsi qu'une part de gâteau au chocolat. A la place du thé, nous, les enfants avons droit à de la limonade préparée spécialement par ma tante Olga. Les ventres sont pleins et je sais que nous allons bientôt avoir l'autorisation de quitter la table afin d'aller jouer. D'ailleurs je louche déjà sur les jeux qu'ont apportés mes cousins en me demandant par lequel commencer. Comme il fait beau, nous irons sûrement sous le pommier.

                 Ma mère apporte le café et pendant que les hommes sortent les cigares, les conversations reprennent de plus belles. Je me tourne vers ma mère la cherchant du regard afin qu'elle me donne le signal de quitter la table.

     

    Soudain, mon cousin Mathieu se lève,  il a son verre d'eau à la main et réclame le silence. Toutes les discussions s'arrêtent aussitôt et je sens que je ne vais pas pouvoir me lever tout de suite.

               Chacun, le visage tourné vers Mathieu, se demande ce qu'il a à dire pour interrompre ainsi le repas dominical.

     

    - J'ai quelque chose d'important à vous dire, ajoute-t-il, voilà je ne sais pas comment vous l'annoncer et ça fait déjà un petit moment que je réfléchis à la question. Aujourd'hui je ne peux plus vivre avec ce secret alors je vais vous dire ça le plus simplement possible : voilà, je suis homosexuel.

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 10 Mai 2014 à 10:12

    Super cool ton blog ! Continue !! 

    $ur mon blog j'organise des concours d'écriture... si ça t'intéresse...

    http://lelecteurgeek.eklablog.com/concours-d-ecriture-n-5-a107792190

    2
    Samedi 10 Mai 2014 à 10:26

    Merci ! Oui ça m'intéresse,  j'irai faire un tour ;-)

    3
    Vendredi 23 Mai 2014 à 20:58

    Pas de suite ? Dommage !

    4
    Mercredi 21 Janvier 2015 à 17:40

    J'ai suivi depuis le début attentivement l'histoire, en me disant "il est beau ce tableau, le dimanche en famille typique ; quelle va être la chute ?" et la voilà..

    tu as coupé trop tôt ! qu'est-ce qui se passe ensuite? dans cette famille conservatrice, les avis doivent être divergents... même si, en fait, ce n'est pas un gros problème, dans le cadre de l'histoire, cela mériterait à mon avis d'aller un tout petit peu plus loin .. :)

    merci néanmoins pour avoir peint ce dimanche convivial en famille :)

    5
    Mercredi 21 Janvier 2015 à 18:03

    Merci pour tout tes commentaires!

    c'est le but de l'histoire : laisser au lecteur imaginer la suite. Est ce qu'il va être accepté dans sa famille ? Va t il être rejeté ? Pourquoi?

    laisse parler ton imagination ! Je ne suis que le guide...

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